De Samatan à Lourdios...

... en passant par le Tourmalet.

Chaque année aux deux-tiers du printemps s’impose l’envie d’écrire combien le séjour de Pentecôte du CCPL fut un excellent moment.  Mais à chaque fois, m’emportant tel un esquif sans gouvernail, la fuite effrénée du temps dilue mon encre.
Le cru Samatan 2012 fut précisément de ce tonneau délectable. S’il y eut jamais un nuage, nul n’eut à en subir l’incontinence. Bien au contraire. On se promena autour du lac, on déambula dans les ruelles d’ocres cuits, de terres crues et de colombages.
Les pédaleurs ont avalé en soufflant parfois comme des phoques les vastes mamelonnements d’où l’on contemple, lointaines pour l’œil béarnais, les Pyrénées bleues et mauves, prometteuses d’immensités.
Pour repos dominical, après une belle virée dans les gorges de la Save, la finale télévisée Pau - Mont-de-Marsan, sous les tendres sarcasmes de la facétieuse séduisante jeune serveuse, coiffée de jaune, un foulard noir virevoltant entre ses épaules nues, nous rassembla sur des chaises en soutien à notre ami Sir Christian Mybreak. L’après-midi s’acheva au château de Caumont, où s’étaient écrites quelques pages fameuses de l’histoire de Gascogne. La maîtresse de maison, irriguée de sang bleu, imprégnée de cette épopée, nous conta comment la noblesse avait inventé la sécurité sociale.
Je garde en mémoire des villages comme Simorre, son église si massive qu’on la prend de loin pour une forteresse. Je revois la façade de la maison d’Olivier, dans la rue qui mène à la halle et à la cathédrale de Lombez, son clocher comme une tour de Pise qui ne pencherait pas, utile repère pour le cyclo fourbu qui rame dans la plaine.

Une partie des cyclos Poyens à l'entrée de l'excellent "Vacanciel" de Samatan.
Une partie des cyclos Poyens à l'entrée de l'excellent "Vacanciel" de Samatan.

Je repense à nos repas déraisonnables aux entrées gargantuesques, aux desserts débridés, aux verres de rosé, ou de rouge, à nos mines réjouies de pourceaux repus...
Les journées des plus jeunes, des enfants, furent pleines. Seule la faim les faisait sortir du bois.
Pas un tracas ne flottait dans l’air que nous partagions. Le soleil était un facteur de consensus, il rendait incandescents les champs criblés de coquelicots dont les frêles corolles écarlates émeuvent le passant sur son vélo, car il perçoit dans leur légèreté le frémissement de la beauté.
Ainsi de ce séjour où tout baignait dans l’huile suave de l’amitié, demeurent ces instants qui nourrissent notre mémoire, comme la cire nourrit le bois.

 

Le CCPL a son horloge interne. Depuis quelques années le premier samedi de juin sonne l’heure de la  « Montée du Géant ». C’est la fin du printemps. Le Tourmalet déneigé, la sculpture monumentale va reprendre sa place là-haut, face à l’auberge, en hommage à tous ceux qui ont écrit la légende à la force du jarret et de l’esprit.
Cette année au départ de Pierrefitte-Nestalas,  Grand Michel, alias K’za, Philippe L., Thierry L., André C., son fils Fabien, grimpeur déjà reconnu, Patrick, Fred L., Didier B., Daniel F., Céline, Alexis et moi.
Sourire ou grimace, encore frais ou rôti à point, chacun a atteint le but. Cinq fois, dix fois, quinze… le Tourmalet est toujours une éprouvante bataille contre les petites douleurs qui émoussent la volonté, instillant le doute sous le casque.
Heureusement, dans le peloton bigarré qui escorte le Géant, quelques belles filles te détournent du découragement qui te guette. Quand l’une d’elles, racée, splendide, posée sur la selle telle une Vénus aérienne à la peau dorée, te double sans un regard, fût-il de biais, alors une pulsion subite t’invite à prendre sa roue. Mais elle prend une longueur, deux, trois. Il faudrait se brûler les jambes, et emballer le carillon à s’en décrocher les clochettes, pour la suivre. Tu renonces. Tu la perds de vue… Tu la retrouves plus tard au sommet, pimpante, outrageusement fraîche, légère et gracieuse, savourant à pleine bouche sa part de tarte aux mille fruits, tandis que tu reprends des forces en te goinfrant de haricots tarbais arrosés de Coca-Cola…

 

Bravo aux courageux Poeyens qui ont osé affronter la terrible ascension de ce col mythique...
Bravo aux courageux Poeyens qui ont osé affronter la terrible ascension de ce col mythique...

A la même horloge du CCPL, quand vient le dernier dimanche de Juin l’on se rend en famille sur un lieu de réjouissance gastronomique. Cette fois ce fut Lourdios-Ichère, où l’on se rendit par Oloron et Issor, ou par les cols de Marie-Blanque et d’Ichère.
Nul ne faisait la course, mais il y eut maints exploits.
Eugène, 82 ans, a mené son vélo par Monein, Cardesse et Oloron, Eysus et Lurbe, Asasp et Issor, rabotant les bosses, digérant les longs faux-plats malgré la corrosion de ses jambes de vieil acier, sous la chaleur montante.
Daniel, quant à lui, les muscles rodés par des décennies de combats contre la pesanteur et contre la montre, puisa dans ses ressources profondes, pour dominer les rampes chauffées d’Ichère, après avoir maté Marie-Blanque…
Chacun, plus ou moins rouge, plus ou moins suant, aura pu, sur l’autre versant de l’effort, trouver en soi un motif de bonheur.
Seul Alain M., qui venait de parcourir à un rythme que peu d’entre nous imaginent les cents kilomètres de la « Cycl’Espoir », était, lorsqu’il nous rejoignit, dans un état de fraîcheur qui laisse rêveur… Si vous voulez savoir quel fut son classement dans cette épreuve, posez-lui la question. Vous mesurerez sa modestie.

Alain M.: Un super cyclo sur lequel les années qui passent n'ont pas de prise...
Alain M.: Un super cyclo sur lequel les années qui passent n'ont pas de prise...

Les vttistes, rudes et joyeux conquérants, ont attaqué la montagne de front, portant parfois leurs montures dans les savanes escarpées. Ils ont soufflé, sué, ahané. Ils se sont cramponnés, se sont hissés, mordant dans le dur, repoussant avec jovialité le découragement, puis, l’effort accompli, ils refroidirent le moteur en se trempant le Lourdios.
Mathieu M. a été vu, lui aussi, rinçant sa carcasse moite dans le gave, en compagnie de grenouilles échappées du bénitier de l’église toute proche, soudainement grisées par les phéromones de cet Apollon.


Puis on but le kir.
La garbure de l’auberge Lamothe avait du fumet, la piperade avait du parfum, la viande avait du goût, et la tarte était la cerise sur le gâteau. Et sur la cerise il y avait le sourire de la patronne.

Bien que dotés de boules, nous n’avons pas joué à la pétanque. Les surfaces planes du village étaient pentues et goudronnées.
Les hommes de la vallée épousent la montagne, et leurs œuvres font de même. On ne saurait exiger d’elles l’horizontalité. Les jeux de balles, fussent-elles denses, ne sont pas des amusements de montagne. Supposons qu’un joueur décide de « tirer » une boule trop proche du cochonnet à son goût et qu’il la rate, eh bien il devrait peut-être courir jusqu’à Issor pour la récupérer.
Personne donc, ne songea à tenter une partie où la gravité serait le principal moteur du jeu.
Alors on a disposé des tables et des chaises de l’autre côté de la route, face à l’auberge Lamothe. Mathieu faisait la sieste sur un banc sous un parasol, les autres devisaient à l’ombre des arbres.

La paix unissait cette assemblée dominicale.

 

Y.C.

 

Bien entouré par ses jujus préférées, Yves est aussi un cyclo-montagnard hors pair !
Bien entouré par ses jujus préférées, Yves est aussi un cyclo-montagnard hors pair !